La digitalisation est une tendance extrêmement importante dans de nombreux secteurs, et l’industrie de l’énergie, et notamment celle du chauffage et du froid urbains, n’y font pas exception.
Cet article se propose de synthétiser un certain nombre de tendances majeures qui ont émergé à la suite de discussions avec des membres partenaires du réseau Nordic Heat Partners Network et de son groupe de travail sur la chaleur digitale en particulier.
Un de ces aspects a déjà reçu beaucoup d’attention : il s’agit de l’engagement des consommateurs.
Il est évident que la digitalisation facilitera l’individualisation de la consommation en chaleur, et qu’elle permettra aux entreprises du secteur de proposer des offres plus diversifiées à leurs consommateurs, en termes de tarif et de services.
Un autre aspect important de la digitalisation au sein de l’industrie énergétique est que les données ont pris une place prépondérante dans la gestion intelligente (optimisée) des réseaux de chaleur, au niveau de la production et de la distribution, mais aussi des bâtiments eux-mêmes.
Ces deux aspects ayant déjà été abondamment traités, nous nous concentrerons sur d’autres parties de la chaîne de valeur, qui pourraient être influencées par la transformation digitale.
L’humain est toujours dans la boucle
La digitalisation a souvent été associée à l’automatisation, qui devrait remplacer l’humain dans de nombreux domaines, mais le machine learning et les technologies digitales ne se substitueront pas aux compétences de techniciens expérimentés dans l’industrie des réseaux dans un futur proche.
De nombreuses entreprises (notamment en Scandinavie) ont élargi leur offre de services en concevant une palette de contrats de maintenance et d’accords de service pour leurs clients, bien souvent des propriétaires immobiliers.
La maintenance prédictive et le contrôle à distance offrent de nombreux bénéfices à travers ces contrats de services, mais les interventions humaines et les observations sensorielles directes seront toujours nécessaires à l’avenir.
La digitalisation a un rôle à jouer pour améliorer ces processus humains en utilisant des technologies comme les Codes QR et le NFC (Near Field Communication).
Ces nouvelles technologies vont permettre une meilleure gestion des actifs via des portails qui peuvent garder en mémoire les opérations de maintenance et les données opérationnelles.
Les applications d’installation pour les technologies de gestion intelligente viennent immédiatement à l’esprit, mais ce type de technologie pourrait être mis en place entre l’actif et l’humain dans un mode analogue à une relation médecin-patient.
Par exemple, dans le cas de la maintenance des modules thermiques d’appartement (MTA), le NFC pourrait permettre à un technicien, grâce à l’utilisation d’un appareil mobile, d’avoir accès instantanément à l’historique de maintenance de l’appareil.
En combinant ceci avec la maintenance prédictive à base de monitoring des données, on peut imaginer maximiser la longévité des appareils et minimiser la durée des interventions humaines.
Contrats de performance et tiers-investisseurs
Jusqu’ici, nous avons abordé les conséquences de l’amélioration de la performance d’un réseau ; cette performance est généralement, à raison, considérée principalement comme la responsabilité de l’opérateur du réseau.
Cependant, les couts opérationnels sont également largement influencés par la qualité du matériel et des processus en place.
On comprend donc pourquoi les opérateurs de réseaux ont de plus en plus tendance à demander aux vendeurs (fournisseurs de services et constructeurs) des garanties de performance.
C’est encore plus vrai pour les technologies d’optimisation et de contrôle, qui sont basées sur un modèle « As A Service. »
Mais les actifs comme les canalisations, les valves et les MTA sont aussi concernés par cette nécessité de garanties de performance.
De nombreuses discussions ont par exemple eu lieu récemment au Royaume-Uni sur les tests à faire sur les MTA pour valider les dires des constructeurs sur les températures de retour dans des conditions diverses.
Il est de même jugé de plus en plus raisonnable d’exprimer les pertes de distribution et de transmission en kWh plutôt qu’en pourcentage pour permettre une comparaison de performance plus objective.
Les constructeurs d’équipements pour le chauffage urbain ont bien évidemment réalisé l’importance de cette tendance pour l’industrie.
Au-delà de l’amélioration de la qualité et de la performance opérationnelle de leurs produits, ces entreprises cherchent désormais à se digitaliser pour vendre la performance comme un service et prendre position dans ce secteur.
Il s’agit d’une nécessité stratégique pour beaucoup de ces entreprises, qui sont souvent sous la menace existentielle d’être reléguées à des rôles de constructeurs d’équipement pour le compte de sociétés plus innovantes.
Un modèle intéressant émerge pour les constructeurs et opérateurs de réseaux : les contrats de performance.
Avec ce modèle, le retour sur investissement est estimé sur la base de la performance anticipée de l’actif (la perte de chaleur dans les canalisation de transmission, par exemple) et en l’incluant dans le plan de paiement de l’utilisateur.
Le besoin de protocoles impartiaux et objectifs de vérification et de processus de mesure de la performance des actifs se fait donc ressentir.
En termes de mesure, les technologies de l’Internet des Objets (IoT – Sigfox par exemple) jouera le rôle clé de facilitateur.
Pour ce qui est de la vérification, le blockchain et les contrats intelligents viennent immédiatement à l’esprit.
Les contrats intelligents pourraient jouer le rôle de fonds communs de créances digitaux en aidant à fractionner les possessions et en fluidifiant le partage des revenus entre actionnaires.
Ceci renforcerait les investissements dans les réseaux en divisant le risque en plusieurs catégories d’investissement en fonction du type ou de la fonction de l’actif.
Management des API et protocoles ouverts
Les opérateurs de réseaux connaissent un autre défi dans leur transformation digitale : l’intégration des systèmes, qui permet la gestion d’un écosystème d’actifs et de processus complexes.
Jusqu’à très récemment, les entreprises de l’industrie du chauffage urbain pouvaient compartimenter les fonctions d’exploitation.
Et pourtant, à mesure que les réseaux s’ouvrent, notamment avec l’émergence des modèles prosumers, les opérateurs et consommateurs des réseaux supportent de moins en moins les restrictions des vendeurs et l’obsolescence des technologies.
Le développement de plateformes ouvertes contribuera à éviter cela, et permettra un échange de données plus transparent entre les différentes fonctions, en permettant par exemple aux infrastructures de production d’accéder aux données des capteurs.
La digitalisation – et cela apparaît de plus en plus évident aux opérateurs – ne peut pas seulement se reposer sur la croissance organique.
De grandes entreprises publiques et privées suédoises ont très bien réalisé ceci, et adaptent leurs plans de digitalisation pour développer leurs infrastructures plus harmonieusement, en évitant de compartimenter les projets en silos.
Au-delà de l’intégration des systèmes, à mesure que l’IoT rend les frontières entre les monde physique et digital de plus en plus floues, les données sont de plus en plus conçues comme une ressource de la chaine de valeur dont le flux ne doit pas être restreint.
L’ouverture du marché du chauffage urbain à de nombreux fournisseurs de services ne peut faire l’économie d’une gestion et d’une maintenance minutieuses des suites d’API pour créer des strates d’accès de données sécurisées.
On peut par exemple penser aux services de réponse a la demande : une variété de fournisseurs de services digitaux va envoyer des prévisions de consommation et agir comme des agrégateurs.
Pour gérer ces flux de données, qui distribuent autant données qu’outils de traitement, les entreprises bénéficieront également de solutions de stockage distribué des données et des technologies actuelles et futures (Spark, par exemple).
Conclusion
Comme de nombreuses les industries, celle du chauffage et du froid urbains est à un tournant de son existence.
Revenue sur le devant de la scène à l’heure de la transition énergétique mondiale, elle se présente comme une alternative aux modes traditionnels de production et de consommation énergétique et comme une porte d’accès fiable, facile et ouverte à tous vers les énergies renouvelables.
Ce retour sur le devant de la scène s’accompagne également d’une transformation de taille pour l’industrie : la transition digitale.
Les nouvelles technologies développées ces dernières années apportent, on l’a vu, un grand nombre de perspectives radieuses pour notre industrie et ses acteurs.
Mais ces perspectives apportent aussi de nombreux bouleversements.
C’est sous le signe de cette double transition, énergétique et digitale, que se dessinera le futur : un futur qui verra certainement la performance au centre de ses préoccupations.
Romain Lambert est développeur d’algorithmes chez PassivSystems, une SME Britannique offrant des services digitaux pour l’industrie des réseaux de chaleur.
Nordic Heat est un cabinet de conseil indépendant en stratégie, formation et innovation commerciale visant à soutenir le développement des réseaux de chaleur et de la valorisation énergétique des déchets en Europe et au-delà. La mission du groupe est de favoriser le transfert de l’expérience acquise et du savoir-faire accumulé par les pays scandinaves au cours des derniers cinquante ans, tout en promouvant l’échange d’innovations technologiques et commerciales entre les divers acteurs du secteur.